Juvenilia – Jane Austen
Les Juvenilia regroupent des textes composés lorsque Jane Austen était encore adolescente. Certains, comme Catherine, préfigurent les romans de la maturité, tandis que d'autres, à l'image d'Histoire d'Angleterre, laissent surtout s'exprimer librement un goût de la dérision, de la parodie et même de l'absurde. A la lecture des Juvenilia, l'on s'étonne du sens de l'humour et de la lucidité de cette si jeune fille. Ces œuvres, moins connues et plus spontanées, permettent de mieux saisir les qualités d'un écrivain subtil et secret.
Juvenilia. Les œuvres de jeunesse de Jane Austen, moins connues (et pour cause), sont regroupées dans ce livre de 375 pages. 375 pages de pur bonheur de lecture, de ravissement à toutes les pages, d’éclats de rire deux fois par page. Parce que ces textes, qui donnent l’impression d’avoir été écrits uniquement pour la famille (il me semble qu’au début, dans ses jeunes années, Jane Austen écrivait surtout pour divertir sa famille, sans idée de publication) expriment le talent de Jane Austen dans toute sa splendeur, d’une manière très spontanée et naturelle (sur ce plan, je suis d’accord avec la présentation de l’éditeur). Dans ces œuvres de jeunesse, point de romantisme. Encore moins que dans ses œuvres les plus connues (ce qui n’est pas peu dire). De longueur inégale, parfois même inachevés, ces écrits partagent un point commun : ils permettent à notre auteure favorite de laisser éclater son génie, son talent de satiriste (et c’est un exercice dans lequel elle excellait, même à 16 ans), son ironie et son regard sur le monde et la société qui l’entoure. La cible de ses satires ? Les femmes et leur superficialité, les hommes et leur superficialité, les excès d’émotions, d’orgueil, de fierté des hommes et femmes de la bourgeoisie, l’argent, les mariages arrangés ou de raison… bref, des sujets qui reviendront dans ses romans plus matures, sous une forme moins spontanée, plus travaillée, j’ai presque envie de dire plus censurée, car dans ce recueil, les propos sont moins policés que dans les œuvres majeures que nous connaissons…
Ces quelques nouvelles, pour une grande majorité épistolaires, ont été écrites vers 1790-91. On y trouve des nouvelles épistolaires (le genre qu’elle semblait préférer, apparemment !!), de la poésie et du théâtre. Certains sont vraiment courts (2 pages), si courts qu’on n’a pas le temps d’entrer dans l’histoire et de faire connaissance avec les personnages, mais je trouve que les personnages n’ont aucune importance dans ces écrits et qu’ils ne sont que le prétexte à des scènes cocasses et satiriques dans lesquelles les propos ont plus d’importance que les protagonistes en eux-mêmes. Quand on pense qu’elle n’avait que 16 ans, un regard pareil sur la société à cet âge relativement tendre, c’est assez impressionnant !
J’ai vraiment adoré cette lecture. Je ne sais pas vraiment que vous dire car je lis rarement des recueils de nouvelles (mais là, ce n’est pas tout à fait un recueil de nouvelles et puis, c’est Jane). Je trouve qu’il est très difficile de parler d’un recueil de ce genre, car on ne peut pas faire de résumé de l’histoire (et vous avez pu vous rendre compte à quel point j’adorais résumer les romans de Jane, puisque ce sont les seuls pour lesquels je ne recopie pas la présentation de l’éditeur… ).
Par contre, ce que je peux vous dire, c’est qu’on retrouve dans ces écrits les prémisses des romans qu’elle écrira plus tard, ainsi que quelques noms tels que Wilhoughby, Dashwood, etc., et des situations.
Je peux aussi vous dire que de tous les écrits de ce recueil, mon préféré est sans conteste Lesley Castle, qui met en scène une correspondance entre deux amies, l’une obnubilée par ses compétences culinaires et les plats qu’elle cuisine et l’autre assez contrariée de voir la nouvelle femme de son père s’emparer des bijoux de la famille et chercher à rivaliser de beauté avec elle, le tout dans une ambiance de château Écossais bien lugubre et perdu dans la campagne. Il y a aussi Une Histoire de l’Angleterre qui m’a beaucoup fait rire. Jane Austen y brosse un portrait des différents rois d’Angleterre, en y exprimant des opinions tout à fait personnelles et peu orthodoxes sur les rois et reines dont elle parle, sans aucune date et sans parfois même rien dire qui soit un tant soit peu utile sur le plan historique, mais le tout est tellement drôle qu’on le lit avec beaucoup de plaisir !
Et puisque personne ne parle mieux d’une œuvre que son auteur, je termine mon billet avec quelques extraits croustillants et représentatifs, je pense, de la plume de Jane Austen dans ce recueil :
« Belle dame, si gracieuse et charmante, malgré le repoussant strabisme, les tresses grasses et la bosse qui vous affligent et dépassent en horreur tout ce que l’imagination peut peindre ou la plume décrire, je ne puis m’empêcher de vous exprimer le ravissement que m’inspirent les séduisantes qualités de votre esprit qui rachètent amplement l’effroi que le visiteur étourdi ne peut manquer d’éprouver en vous voyant la première fois. » (Frédéric et Elfrida, page 17)
« Peut-être, Monsieur, pourrait-on s’attendre à me voir heureux et reconnaissant de l’offre que vous venez de me faire, mais permettez-moi de vous dire que je la considère comme un affront. Je me regarde comme un homme parfaitement beau, Monsieur, - où trouveriez-vous silhouette plus élégante ou visage plus charmant, en effet ? – et je pense, Monsieur, que mes façons et mon abord sont des plus policés. Ils ont une grâce certaine et une douceur particulière que je n’ai jamais vues égalées et ne saurais décrire. » (Jack et Alice, page 46)
« Une fois parvenue à Devizes, il décida de se réconforter avec un bon souper chaud et commanda donc tout un œuf à la coque pour lui et ses serviteurs. » (Mémoires de Mr Clifford, page 73)
« Méfiez-vous des évanouissements, ma chère Laura… les effets d’une crise de démence ne sont pas, et de loin, aussi pernicieux… C’est un exercice physique et s’il n’est point trop violent, il contribue finalement, si j’ose dire, à vous garder en bonne santé. Devenez folle aussi souvent qu’il vous plaira, mais ne vous évanouissez plus jamais ! » (Amour et amitié, page 156)
« En fait, ma chère amie, je ne me souviens d’avoir éprouvé pire vexation que celle que j’ai ressenti lundi dernier quand ma sœur est accourue à l’office, le visage aussi blanc que la crème fouettée pour me dire qu’Hervey s’était brisé le crâne en tombant de cheval et courait les plus grands risques d’après les dires mêmes du chirurgien. –Bon Dieu, me suis-je écriée, mais que va-t-il advenir de toutes ces victuailles ? » (Lesley Castle, page 170)
Le billet d'Isil, la plus grande fan que je connaisse...
Ce livre a été également lu dans le cadre de mon challenge ABC Classique 2009.