La Belle et la Bête – Madame de Villeneuve
« Le monstre se fit entendre. Un bruit effroyable, causé par le poids énorme de son corps, par le cliquetis terrible de ses écailles et par les hurlements affreux, annonça son arrivée. En voyant s’approcher la Bête, qu’elle ne peut envisager sans frémir en elle-même, la Belle avança d’un pas ferme, et d’un air modeste, salua fort respectueusement la Bête. Cette démarche plut au monstre et, se retournant vers la Belle, il lui dit : « Bonsoir la Belle. » »
Gabrielle-Suzanne de Villeneuve (1685-1755) est l’auteur de l’un des contes de fées les plus célèbres de la littérature française. Venue tardivement à l’écriture, elle est également l’auteur de plusieurs autres contes et romans, parmi lesquels La Jardinière de Vincennes, qui connut un grand succès.
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J’ai longtemps pensé, chers lecteurs, que Jeanne Leprince de Beaumont était la personne de l’imagination de laquelle le conte de la Belle et la Bête était sortie. Fourvoyée, je me suis ! En passant à la caisse d’une librairie, voilà que mon regard fut attiré par un petit Folio 2 € intitulé La Belle et la Bête. Pendant que la caissière (pardon, l’hôtesse de caisse) comptabilisait mes achats (quelques Zweig, et d’autres livres dont je vous ai déjà parlé), je feuilletais l’objet de ma curiosité et découvrit qu’il s’agissait en fait du vrai conte original, celui dont Mme Leprince de Beaumont s’est inspirée pour écrire le sien ! Je ne l’achetais pas, persuadée que j’étais de trouver le texte, qui date de 1740 environ, sur Internet. Je me suis à nouveau fourvoyée, chers lecteurs, car si l’on trouve bien le texte de Mme Leprince de Beaumont sur Internet, libre de droits, celui de Mme de Villeneuve est bien moins facilement trouvable ! Qu’à cela ne tienne, je suis retournée à la librairie pour acheter le conte et satisfaire ainsi ma curiosité !
Quelle belle découverte ! Je suis absolument ravie d’être tombée par hasard sur ce petit roman, parce qu’il est bien plus complet, bien plus approfondi et bien plus détaillé que celui que je connaissais ! D’après la préface, le conte de La Belle et la Bête n’est vraiment devenu populaire qu’après la version revue et corrigée (et allégée, aux dires de certains) par Mme Leprince de Beaumont (publiée dans les années 1770, je crois bien), mais c’est bien à Mme Gabrielle-Suzanne de Villeneuve, femme de lettre relativement inconnue mais qui a pourtant écrit des choses fort intéressantes (toujours d’après la préface) que l’on doit la paternité de ce conte qui a fait rêver des centaines de petites filles.
Dans cette version, qui compte quelque 130 pages (contre 12 dans la version que l’on connaît), on apprend tout de l’origine royale de la Belle, qui s’est vue confier à une famille d’adoption suite à une querelle des fées qu’il serait trop long de vous expliquer par le menu ici. On en apprend également beaucoup plus sur le quotidien merveilleux et magique de la Belle dans le château de la Bête. Et dans cette version, la Belle converse en songe, toutes les nuits, avec un beau prince dont elle tombe amoureuse, et qui, vous l’aurez deviné, n’est autre que la Bête sous sa forme humaine.
C’est donc une version bien plus consistante et bien plus détaillée que celle que nous a léguée Mme Leprince de Beaumont. Là où la version avec laquelle nous sommes familiers, de par la simplicité de sa langue et la simplification de l’histoire, s’adressait aux petites filles, celle de Mme de Villeneuve touche un public plus âgé, je pense. Moi-même, qui ne me considère plus tellement comme une petite fille (quoi que….) depuis quelques années, il m’a fallu toute ma concentration pour suivre les méandres des histoires à la Santa Barbara des fées, histoires qui ont conduit à l’exil de la vraie mère de la Belle, à l’éducation de la Belle dans une famille étrangère et à la transformation de la Bête en un monstre couvert d’écailles et particulièrement repoussant…
L’histoire est la même dans les deux versions, bien entendu… mais j’avoue maintenant une grande préférence pour la version plus fouillée du conte…
Un mot sur le cadre du récit :
Dans La Jeune Amériquaine et les contes marins, le récit global dans lequel le conte apparaît, se passe sur un navire, pendant une traversée durant laquelle, tous les soirs, les passagers se réunissent et se racontent des histoires. Le conte de la Belle et de la Bête est raconté par une jeune femme de chambre, Mlle de Chon, raccompagnant sa maîtresse vers l’île de Saint-Domingue… Ce récit contient donc quelques contes supplémentaires… quelque chose me dit que je vais essayer de le trouver, ce livre !
Une très très belle découverte totalement fortuite mais ô combien heureuse, chers lecteurs !!
(Titre original) La Belle et la Bête, tiré du récit La Jeune Amériquaine et les contes marins
Madame de Villeneuve, 1740