Tolstoï

Publié le par Pimpi

Aujourd'hui, Joelle partage avec nous ce qu'elle a découvert de Tolstoï...

 

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Tolstoï vu par Elif Shafak dans « Lait noir »

L’auteur nous dit son tiraillement entre le désir d’être mère et celui de rester indépendante pour écrire. Elle évoque de nombreuses femmes écrivains mais aussi des hommes écrivains bien contents d’avoir une femme !

En 1862, Léon Tolstoï épousa Sofia Andreïevna Bers de 16 ans sa cadette. De cette union naquirent 13 enfants (ou 19 selon les sources). 4 d’entre eux moururent en bas âge. Sofia éleva les 9 (ou les 15) enfants restés en vie. D’après ce calcul, pendant la majeure partie de leur mariage Sofia était enceinte ou allaitait. Tandis que Tolstoï, cloîtré dans une pièce, écrivait ses romans à la lueur d’une bougie, Sofia s’occupait des enfants et veillait à ce qu’ils ne fassent pas de bruit. Chaque soir, chaque semaine, chaque année… (…) Durant les rares heures de liberté que lui laissaient le soin des enfants et des tâches ménagères, Sofia remplissait le rôle de secrétaire et d’assistante auprès de son mari. Non seulement elle mit au propre le manuscrit de « Guerre et Paix » mais elle en fit au moins 7 copies. Bien que leur mariage passe pour la relation la plus malheureuse qui soit de l’histoire littéraire, il n’en reste pas moins que Sofia consacra de longues années à son époux et à sa carrière. Aujourd’hui, l’une des questions que se posent les historiens de la littérature concerne l’influence qu’a pu exercer Sofia sur Tolstoï lorsqu’il écrivait « Anna Karenine ». Dans quelle mesure ce grand romancier a-t-il projeté dans son œuvre certains traits de sa femme – et ses craintes qu’elle puisse le tromper ? Toujours est-il que lorsqu’il s’attela à la rédaction d’« Anna Karenine », Tolstoï était âgé de 44 ans et Sofia seulement de 27. En remuant des eaux troubles, en décrivant les désastres qui menaçaient la femme infidèle, ce roman se voulait peut-être une mise en garde voilée.

Dans « Anna Karenine », il est fait mention d’une nuance, d’un subtil distinguo. Si la femme mariée se limite au flirt et garde sa passade secrète,  les choses en restent à l’état d’événement « déplorable mais compréhensible ». La crise qui peut en découler ne concerne que le mari. Le vrai problème commence quand l’adultère s’affiche publiquement , « au vu et au su de tout le monde », autrement dit, dès que les rôles et les équilibres sociaux se voient menacés. Tout reposant sur le principe selon lequel  « le linge sale se lave en famille. La femme peut virtuellement tromper son mari, toutes les nuits, mais dans ses rêves ». C’est en cela qu’Anna dépasse la mesure, enfreint les limites. Elle ne s’en tient pas à l’interdit, à l’attirance qu’elle éprouve pour un autre homme, elle souhaite aussi que tout le monde sache qu’elle le désire et l’aime passionnément . (…) Dès que sa liaison adultère devient de notoriété publique, la société rejette Anna et la considère comme une femme déchue. Par le biais « Anna Karenine », Tolstoï voulu probablement faire passer un message moral non seulement à sa femme mais à ses filles d’âges divers. (…) Mais étrangement son œuvre eu moins d’impact sur les femmes de sa famille que sur lui-même. Peu après avoir terminé son livre, Tolstoï tomba dans une grave crise morale et spirituelle. Issu de l’aristocratie et ayant passé toute sa vie à l’abri du besoin, l’écrivain désirait se défaire de ses possessions et de ses privilèges de classe. Sa position sociale suscitait en lui un profond malaise. Au point qu’il finit par distribuer tous ses biens aux pauvres. Et c’est là que Sofia, soucieuse de l’avenir de ses enfants, et Tolstoï, engagé dans son mouvement d’expiation, divergèrent du tout au tout. (…)

En 1883, expliquant qu’il voulait se retirer de ce monde matérialiste, Tolstoï céda ses terres, sa fortune et ses droits d’auteur (…) et commença une vie de misérable paysan. Vêtu de hardes et chaussé de bottes crottées, il délaissa ses travaux intellectuels pour s’adonner à des tâches manuelles. (…) Sofia suivit avec effroi cette métamorphose.  (…) Tolstoï  s’enfonça encore plus dans sa religiosité. Il vécut en ermite. De son côté Sofia se mit à faire dépression sur dépression. En l’été 1910, Tolstoï déshérita sa femme à son insu et céda secrètement ses droits d’auteur à son éditeur. Avec une rare aversion, mari et femme s’éloignèrent de façon irrémédiable.

D’une certaine façon, Sofia était l’inverse d’Anna. Elle se transforma en une femme perpétuellement enceinte, accaparée par les enfants et acariâtre. (…)

La spiritualité était une dimension importante pour Tolstoï. Depuis toujours. Mais avec le temps, sa religiosité pris un tour plus rigoureux. Radical. Il vivait toutes les contradictions intérieures d’un homme d’un côté porté sur les femmes et, de l’autre, considérant le sexe comme quelque chose de sale. Tolstoï, à qui l’on doit l’un des plus célèbres personnages féminins de l’histoire littéraire, n’avait que peu d’estime pour le sexe faible. Toujours est-il qu’il ne pouvait s’en passer. (…)

Si Sofia avait été romancière, Léon Tolstoï aurait-il fait preuve d’autant de dévouement ? Aurait-il rempli le rôle d’assistant de son épouse ? Aurait-il recopié ses œuvres au propre de son écriture fine et serrée ? Ou aurait-il de temps à autre emmené les enfants au parc pour que sa femme puisse tranquillement écrire à la maison ?

Personnellement, j’ajouterai  qu’en tout état de cause, Tolstoï continue à être le génie qui a su sonder la psychologie de la femme comme l’avait fait  20 ans avant Flaubert avec Emma Bovary. (Mais je préfère Anna à Emma !)

Mais en lisant « Anna Karenine », ayons une petite pensée pour Sofia.

 

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Publié dans Autour de la Russie...

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Commenter cet article
D
<br /> La fille de Tolstoi a écrit un petit livre où elle rend à la fois justice au génie de son père mais aussi à sa mère qu'elle présente comme nettement moins difficille que bien des biographes `<br /> j'ai fait un billet sur ce livre en 2009 que j'ai bien aimé, qu'il doit être dur de vivre à l'ombre d'un génie<br /> <br /> <br />
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P
<br /> C'est intéressant, ça, je vais aller lire ton billet!!! <br /> <br /> <br />